« Ce livre c’est toute l’histoire de ma grand’mère : Clotilde Chaudat, de Bouhans, petit village bressan de 154 habitants. Mariée en 1923 à un Franc-Comtois, Clotilde a quitté son église, son clocher, sa rivière – la Brenne un affluent de la Seille – son horizon de champs de maïs, les mares et les grenouilles de son pays natal, pour s’installer à Bletterans à l’Hôtel de la Cloche. Elle, la Bressane-au-ventre-jaune, nostalgique de la Bresse et conquise par la ligne bleue du Jura, a réuni pour les gourmands, dans un même ouvrage, les recettes de cuisine de ces deux régions…
Pourquoi ce livre ?
Des livres de recettes, il en existe déjà beaucoup, et de très bien faits. Mais, pour moi, la cuisine, c’est toute mon enfance, avec des souvenirs merveilleux. Bien que née à Bletterans, du fait des affectations successives de mon père, nous étions, mes frères et moi, devenus des petits Parisiens. Sans doute le contraste entre notre vie parisienne très encadrée (nous habitions un immeuble de la banlieue nord occupé par trente-deux couples d’instituteurs !) et nos vacances à l’hôtel de La Cloche à Bletterans, où l’action et la liberté étaient les maîtres mots, était pour nous une source de bonheur simple et la richesse de cette vie à la campagne nous émerveillait. […] Ma grand-mère et mes tantes tenaient l’hôtel-restaurant : deux en cuisine, une en salle. Les dames Blanc comme les appelaient les clients, ne s’ennuyaient jamais car leurs seuls moments de liberté en début d’après midi, étaient consacrés aux longs bavardages avec les rares attardés qui ne s’en allaient qu’après de nombreux cafés !
Tous les mardis matin, c’était la foire ou le marché, juste de l’autre côté de la rue. Pour avoir une idée de l’ambiance de nos jeunes années, allez faire un tour au marché du lundi à Louhans et imaginez-vous quelques décennies en arrière !
À 9 heures du matin, quand nous descendions, mal réveillés, dans la salle de restaurant, il y avait déjà un brouhaha de discussions en patois entre vendeurs et acheteurs qui venaient conclure leur affaire de vache ou de lapin autour d’un plat de tête de veau roboratif dont l’odeur nous faisait un peu retrousser le nez.
Et puis, il y avait, juste avant la rentrée scolaire et le retour cafardeux sur Paris, la fête de la Mi’stembre qui était un des moments forts, au même titre que le Jour de l’An, où nous étions tous sur le pont, les femmes en cuisine ou en salle, les hommes au bar et à la cave, pour assurer le service à la fois au restaurant et à la salle des fêtes, de l’autre côté de la rue.
C’est depuis ce temps que j’ai compris la raison des coups de gueule des chefs de cuisine ! C’est qu’il ne fallait pas avoir les deux pieds dans le même sabot. Un simple oubli ou une malheureuse erreur pouvait avoir des conséquences graves pour le bon déroulement des repas servis à plus de cent personnes.
Mais, après le coup de feu, tout redevenait normal, et on s’attablait pour déguster les (bons) restes. Et c’était magique ! Chacun avait le sentiment d’avoir fait sa part de travail et nous étions tous fatigués mais contents. Mais le vrai paradis, c’était les grandes vacances. Les garçons participaient plus au service en salle, alors que moi, la fille, j’aidais en cuisine. Et c’est là que je voyais avec émerveillement l’organisation sans faille des cuisinières qui transformaient chaque produit du jardin ou du verger en plats, les truites devenir bleues comme par enchantement, le gibier se transformer en civet, les poules, les oies, les canards se faire plumer à une vitesse impressionnante, les écrevisses que la cuisson métamorphosaient en buisson ardent…
Plus tard, lorsque je me suis retrouvée à mon tour mère de famille en même temps que bien occupée par mon métier, je me suis souvent posé la question de savoir comment aurait fait ma grand’mère dans la même situation. Et le moral revenait immédiatement. La cuisine est restée pour moi un double plaisir : plaisir de faire et plaisir de partager. »
Florence Javelle
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